Le berger amoureux de l’aurore
♥ merci à Pat pour cette légende : http://freeriders.over-blog.net/
Au pied de la face nord du Mont Bego, s’étend une large vallée où tout est calme et douceur. Une source cristalline y jaillit entre deux rocs. Au printemps, alors que la neige est encore partout présente, la source est entourée d’un superbe parterre de fleurs multicolores. Une vieille histoire donne l’explication de ce miracle.
Il y a bien longtemps de cela, tout près du lac Vert, un jeune berger vivait heureux, en parfaite harmonie avec la nature. Les bêtes étaient ses amies. Autour de sa petite cabane de pierre, les marmottes vivaient en toute quiétude. Le soir, les bouquetins et les chamois descendaient des montagnes et venaient rendre visite au berger qui leur parlait d’une voix douce. Les animaux l’écoutaient, et restaient sous le charme de la musique des mots et des phrases. Car ce berger était un poète : il ne savait ni lire ni écrire mais savait la poésie. Il composait aussi des chansons à la gloire de sa montagne. Les mots qu’il ne pouvait écrire, il les dessinait sur la roche, ces belles dalles aux couleurs de feu qui, depuis les lacs Jumeaux partaient à l’assaut du Mont Bego. Ces gravures délicates disaient tout l’amour qu’il portait à sa montagne et exprimaient un rêve qu’il croyait pouvoir réaliser un jour. Il se levait tous les matins tôt pour voir l’aube blanchir le ciel et annoncer l’aurore. Il ne rejoignait sa cabane qu’au moment où les doigts roses de l’aurore avaient caressé les signes d’amour qu’il avait gravés. Il la voyait descendre lentement les pentes du Bego et s’attarder sur les grandes chiape* où il écrivait son ardente déclaration. Il était certain que l’Aurore était vivante et qu’elle lisait son message. Le berger était amoureux de l’Aurore. Peu à peu, il acquit la conviction que l’objet de son amour impossible se cachait au sommet de la montagne. Prisonnier de son rêve, il l’était à tel point qu’un matin son esprit imaginatif crut apercevoir une jeune femme danser dans les nuages roses entourant le sommet. Alors, n’y tenant plus, il résolut à gravir le Bego pour surprendre Aurore à son réveil. Il attendit pour cela une nuit de pleine lune.
Laissant ses moutons sous la garde de son chien, il partit à la tombée du jour. Il marcha tout d’abord d’un bon pas sur les grandes dalles lisses puis se retrouva au pied de la paroi verticale qu’il entreprit d’escalader. Les premiers mètres lui parurent faciles mais peu à peu l’ascension se fit plus rude, les prises devenaient rares, les précipices vertigineux. Cependant, pas une seconde il ne songea à renoncer. Il s’engagea dans un couloir aux roches instables. Il progressait lentement dans ce passage délicat, trop lentement ! A l’est le ciel s’éclaircissait. Le berger n’avait pas peur de tomber mais d’arriver trop tard. L’aube se levait, le berger était tout proche du sommet, il accéléra encore l’allure. Tout à coup, une pierre se déroba sous ses pieds, il ne put se rattraper, tomba dans le vide et alla s’écraser au pied de la paroi. Lorsque le jour se leva, la clarté rose de l’aurore illumina le Bego avec plus d’intensité que d’habitude. Elle descendit lentement dans les parois sombres que le pâtre avait gravies quelques heures plus tôt. Dès que ses doigts roses touchèrent le corps sans vie du berger, Aurore s’arrêta et ce jour-là, la vallée demeura dans l’ombre. Le corps disparut et à l’endroit où il était tombé naquit une source cristalline.
Le pâtre ne rentrait à Casterino que lorsque la neige le chassait de sa montagne de sorte que ses amis bergers ne s’inquiétèrent pas de son absence. Ce n’est que lorsque les premières neiges blanchirent les prairies qu’ils se mirent à sa recherche. Il avait beaucoup neigé et cette chute précoce aurait pu surprendre leur ami. Au prix d’efforts surhumains, ils essayèrent de rejoindre le lac Vert. Ils étaient seulement à mi-chemin quand la tourmente se leva. La mort dans l’âme, ils durent renoncer et redescendirent à Casterino puis à Tende. Quelques semaines plus tard, on était alors en plein cœur de l’hiver, on vit arriver au village un troupeau de moutons. C’étaient les bêtes du berger disparu mais elles étaient conduites par une jeune femme aux longs cheveux d’or, toute de blanc vêtue. Cette jeune femme était inconnue dans la vallée mais tous les villageois la dévisagèrent avec insistance tant elle ressemblait à leur ami berger. La curiosité fit alors place à un vif étonnement. Après avoir conduit les bêtes dans une bergerie, on invita la belle inconnue à se joindre à la veillée. Pressée de questions, elle fit le merveilleux récit de la mort du jeune pâtre Évidemment, personne ne voulut croire à cette histoire. Alors la jeune femme indiqua le lieu précis de sa chute et conseilla aux villageois de s’y rendre au printemps suivant. Puis elle quitta ses hôtes, laissant les hommes sous le charme de sa très grande beauté et les femmes envoûtées par son récit extraordinaire. Elle s’évanouit dans la belle nuit d’hiver et jamais plus on ne la revit à Tende. Mais cette nuit-là les étoiles brillaient de leur plus bel éclat...
Au printemps, tous les villageois accompagnèrent les bergers à l’alpage de Casterino. Puis, laissant les bêtes au fond de la vallée, tous remontèrent le vallon du lac Vert. Plus haut, au pied des grandes chiape*, ils découvrirent la source magique chantant au milieu d’un parterre de fleurs multicolores. Afin de garder impérissable le souvenir de leur ami et de son impossible amour, les bergers baptisèrent la source Fontanalba, la source de l’aube, cette aube fatale qui lui a refusé l’amour de la fée Aurore.
Depuis, chaque année, au printemps, le miracle de l’Amour s’accomplit : tout autour de la source, au milieu des neiges, un merveilleux jardin fleurit sous les doigts roses de la fée Aurore.
* chiape : grandes dalles polies par les glaciers de la région du Mont Bego