Avant d’enchanter les lectures et de booster l’imagination de la jeunesse, les sorcières déambulaient,
sans complexe, dans les rues de la Rome antique SALVATORE DI NOLFI
Dans la versatile Cité de Calvin, Halloween a commercialement perdu la main. Mais les histoires de sorcières, fictives ou réelles, n’en finissent pas de magnétiser le jeune public. La preuve par
Harry Potter ou autre Sorcière Camomille. La littérature enfantine a, depuis quelques décennies, transformé l’inquiétant personnage au chaudron magique en figure sécurisante pour les tendres
nuits cauchemardesques. De même que les tours de passe-passe des demoiselles de Charmed, diffusés sur petit écran, envoûtent l’audimat. Comment la suspecte Sorcière de Salem est-elle devenue une
héroïne des temps modernes? Par la magie du féminisme, postulent les spécialistes. Exégèse.
La fameuse chasse
Avant d’enchanter les lectures et de booster l’imagination de la jeunesse, les sorcières déambulaient, sans complexe, dans les rues de
la Rome antique. Et au cœur du Moyen Age, elles vendaient ouvertement leurs filtres d’amour, leurs invocations à la pluie sans que ce négoce ne soit associé au diable.Dès 1450 pourtant, les
faiseuses de sortilèges rejoignent l’axe du mal. La traque peut commencer.
En Europe, et en moins de trois siècles, près de 30 millions de femmes, soupçonnées de sorcellerie, sont brûlées vives. Ce pogrom
aurait pu tomber aux oubliettes. Mais la société de l’après-guerre décide de «déterrer les cadavres».«Au XXe siècle, les experts n’ont plus qu’une obsession: recenser les centaines de bûchers
dressés dans les pays à inquisition ou les régions protestantes», explique Christophe Gros du Musée d’ethnographie de Genève.Anna Göldin est l’une des dernières femmes à avoir fait les frais de
cette sanglante poursuite. Un musée vient d’être inauguré en hommage à la jeune servante de Glaris, exécutée en 1782.
Retour en grâce
Et les historiens ne sont pas les seuls à s’être penchés sur le sort des détentrices de recettes plus ou moins maléfiques. Les
féministes, ébranlées par la stigmatisation de ces sacrifiées, ont milité à leur réhabilitation.Comme l’explique Yasmina Foehr Janssens, professeure de littérature médiévale à l’Université de
Genève. «La sorcière suscitait diverses peurs. Celles liées à l’expression de la féminité et du savoir paramédical qu’elle détenait. Même son indépendance — la sorcière était veuve ou célibataire
— semblait équivoque. Démystifiée, elle est devenue une de leurs figures de proue».
Une autre image
Ainsi pour l’universitaire, il n’est guère étonnant que ce personnage, ainsi revu et corrigé, séduise le jeune lectorat. «C’est un
contrepoint à l’image lisse des petites filles modèles. Sa représentation, souvent sous les traits d’une femme hideuse, permet de rompre avec les canons de beauté véhiculés par la publicité»,
reprend-elle.Chargée de cours en Etudes Genre à la faculté genevoise des lettres, Agnese Fidecaro ajoute de l’eau au moulin féministe. «Autrefois, la sorcellerie obéissait à des critères
sexistes. Le pouvoir des garçons relevait du savoir et celui des filles d’un don surnaturel. Avec Harry Potter, la magie s’apprend sur les bancs de Pouldard sans distinction de
genres"
Les envoûteuses du XXIe siècle
La jeteuse de sort, souvent drapée de noir, inspire aussi l’âge tendre jusque dans sa garde-robe. Comme si la fibre thanatologique des
«fashion gothiques» vibrait aux mystères insufflés par les nécromanciennes. «Car si l’homme est du côté de l’esprit, la femme est du côté du corps, de la naissance et de la mort», relève encore
Agnese Fidecaro.Chouchoutées par la littérature, les sorcières — actives dans l’Afgrique animiste — ont-elles complètement disparu des sociétés postindustrielles? Non. Aux Etats-Unis, de nouveaux
cultes célébrant la pensée païenne essaiment. En France, les Wiccanes ont leurs adeptes, leurs réunions secrètes et leur site Internet.
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