Le mythe du brahmane Sissa

Publié le par Domi Sorcière d'Arcane

Le mythe du brahmane Sissa

Le plus important peut être perdu si le plus faible n'est pas protégé, ô fils de Kunti
Raghunandana in Divyatattva

Europe Echecs n°583 12/2008

En 1719, Nicolas Fréret prononce un discours éloquent en présence du Roi de France, Louis XV, sur l'origine du jeu des échecs :

"Au commencement du V siècle de l'ère chrétienne, il y avait dans les Indes un prince très puissant, dont les états étaient situés vers l'embouchure du Gange. Il prenait le titre fastueux de Roi des Indes. Son père avait contraint un grand nombre de souverains de lui payer un tribut et de se soumettre à son empire. Le jeune monarque oublia bientôt que les rois doivent être les pères de leurs peuples, que l'amour des sujets pour leur roi est le seul appui solide du trône, que cet amour seul peut attacher véritablement les peuples au prince qui les gouverne, et dont ils font toute la force et toute la puissance, qu'un roi sans sujets ne porterait qu'un vain titre, et n'aurait aucun avantage réel sur les autres hommes. Les brahmanes et les rajas, c'est-à-dire les prêtres et les grands seigneurs, représentèrent toutes ces choses au Roi des Indes; mais enivré de l'idée de sa grandeur, qu'il croyait inébranlable, il méprisa leurs sages représentations. Les plaintes et les remontrances ayant continué, il s'en trouva blessé, et pour venger son autorité qu'il crut méprisée de ceux qui osaient désapprouver sa conduite, il les fit périr dans les tourments. Cet exemple effraya les autres. On garda le silence, et le prince abandonné à lui-même, et, ce qui était encore plus dangereux pour lui et plus terrible pour ses peuples, livré aux pernicieux conseils de ses flatteurs, se porta bientôt aux derniers excès. Les peuples accablés sous le poids d'une tyrannie insupportable, témoignèrent hautement combien leur était devenue odieuse une autorité qui n'était plus employée qu'à les rendre malheureux. Les princes tributaires, persuadés qu'en perdant l'amour de ses peuples, le Roi des Indes avait perdu tout ce qui faisait sa force, se préparaient à secouer le joug, et à porter la guerre dans ses états. C'est alors qu'un brahmane, nommé Sissa, fils de Daher, touché des malheurs de sa patrie, entreprit de faire ouvrir les yeux au prince sur les funestes effets que sa conduite allait produire. Mais instruit par l'exemple de ceux qui l'avaient précédé, il sentit que sa leçon ne deviendrait utile que quand le prince se la donnerait lui-même, et ne croirait point la recevoir d'un autre. Dans cette vue, il imagina le jeu d'échecs, où le Roi, quoique la plus importante de toutes les pièces, est impuissant pour attaquer et même pour se défendre contre ses ennemis, sans le secours de ses sujets et de ses soldats.

Le nouveau jeu devint bientôt célèbre. Le Roi des Indes en entendit parler, et voulut l'apprendre. Le brahmane Sissa fut choisi pour le lui enseigner et sous prétexte de lui en expliquer les règles, et de lui montrer avec quel art il fallait employer les autres pièces à la défense du Roi, il lui fit apercevoir et goûter des vérités importantes qu'il avait refusées d'entendre jusqu'alors. Le prince, né avec de l'esprit et des sentiments vertueux que les maximes des courtisans n'avaient pu étouffer, se fit l'application des leçons du brahmane, et comprenant que l'amour des peuples pour leur roi fait toute sa force, il changea de conduite, et par là prévint les malheurs qui le menaçaient. Le prince sensible et reconnaissant laissa au brahmane le choix de la récompense. Celui-ci demanda qu'on lui donnât le nombre de grains de blé que produirait le nombre de cases de l'échiquier : un seul pour la première, 2 pour la seconde, 4 pour la troisième, ainsi de suite en doublant toujours jusqu'à la soixante-quatrième. Le Roi, étonné de la médiocrité apparente de la demande, l'accorda sur le champ et sans examen. Mais quand ses trésoriers eurent calculé, ils trouvèrent que le Roi s'était engagé à une chose pour laquelle ni ses trésors, ni les greniers de ses vastes états n'y suffiraient. On évalua la somme de ces grains de blé à 3.145.740 villes, dont chacune contiendrait 1.024 greniers, dans chacun desquels il y aurait 174.762 mesures, et dans chaque mesure 32.768 grains. Alors le brahmane se servit de cette occasion pour lui faire sentir combien il importe aux rois de se tenir en garde contre ceux qui les entourent, et combien ils doivent craindre que l'on abuse de leurs meilleures intentions."

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Q
Je ne connaissais pas cette histoire... merci pour la découverte, Domi.<br /> Bises et douce soirée.
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M
Mais quel est ce Sage qui, actuellement, pourrait faire entendre raison aux Puissants de ce monde ???
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D
Je ne sais pas s'il existe mais ce serait bien qu'il montre le bout de son nez bisous